Interview : Polerik Rouvière
J'ai eu la chance de pouvoir m'entretenir avec Polerik Rouvière, le compositeur de "Qui c'est les plus forts?". J'ai été reçu directement au studio d'enregistrement (excusez du peu !) en Région Parisienne. Au delà de l'accueil convivial et décontracté, on découvre, ici, un homme passionné de musique et riche de plein de projets.
Qu'est-ce qui t'a amené à la musique de film ?
Polerik Rouvière : Je fais de la musique depuis que je suis très jeune. Quand mon arrière grand-mère est morte, on a hérité de son piano, sachant que je ne suis pas du tout issu d'une famille de musiciens. Mes parents se sont donc retrouvés avec un piano sur les bras et ils ne savaient pas très bien quoi en faire. Plus petit (On me l'a raconté) j'avais fait un caprice pour avoir un piano dans ma chambre. Comme j'avais pas une très grande chambre, autant dire que j'avais juste le piano et mon lit. Et le piano, ça j'men souviens très bien, c'était à la fois une cabane (j'montais dessus), les petites voitures dedans et tout, à l'époque je l'utilisais à 10% pour faire de la musique et à 90% pour faire des conneries avec. Puis, au bout d'un moment, on se rend compte qu'on commence à en jouer car ça prend de la place, on commence à jouer ce qu'il y a à la radio et la musique a rapidement pris une place importante dans ma vie. Quand j'étais petit j'étais un romantique, je le suis encore, et assez rapidement je me suis imaginé des séquences "de la vie de tous les jours" en musique, je me disais qu'à l'école, la vie serait plus belle en musique, quand on jouait dans la cour, lorsque l'on jouait les héros il y aurait d'un coup une grosse musique de cowboy, et lorsque l'on était amoureux d'une fille, il y aurait les gros violons qui dégaineraient au moment où on allait la voir. Ce serait chouette. J'étais en CE2 et je me disais "Ce serait génial qu'il y ait de grosses enceintes qui diffusent de la musique avec ce que l'on ressent".
Et j'ai continué à faire de la musique, j'ai eu mon premier groupe à 13-14 ans, et rapidement, je répétais chez moi tous les jours de 19h00 à minuit. A 17 ans je devais dire que je voulais faire de la musique, en faire ma vie. J'avais fait un groupe de rock, un groupe de jazz qui avait obtenu le 1er prix jeunes talents. J'ai commencé mon parcours de musicien en jouant à droite à gauche, et également en tant qu'ingénieur du son. Puis j'ai commencé à mêler les deux en faisant de la réalisation de disques. J'ai monté mon label, ce qui me permettait de produire moi-même ma musique, je commençais un peu à exister dans l'univers du disque (Universal).Un jour, un copain est venu me voir en me disant " Je souhaiterais faire une fausse pub pour l'émission Culture Pub. On n'a pas beaucoup d'argent, est ce que tu accepterais de faire la musique? A charge de revanche". Leur référence c'était "Fight Club", donc j'ai fait un truc un peu dans l'esprit. Et la pub passe sur M6. Le même réalisateur me rappelle deux ans après et me dit : "Je réalise une pub pour des transports en commun Lyonnais, ça ne va passer que sur le câble mais bon je t'avais dit à charge de revanche et aujourd'hui j'ai le budget pour un compositeur". Donc je lui compose sa pub, et je reconnais qu'à cette époque-là j'avais du mal à vivre de mon métier de compositeur, pourtant j'ai toujours fait que ça. Je n'ai jamais fait de petits boulots à côté, j'ai toujours eu la chance de vivre de la musique et comme j'ai commencé très jeune, j'ai toujours beaucoup travaillé, plus ou moins bien. Donc à l'époque, j'avais fait cette pub là, et j'attendais pour être payé. Donc j'appelle la prod, je leur dis "vous n'auriez pas d'autres pubs?", je me disais que c'était assez lucratif la musique de pub, "vous n'auriez pas d'autres musiques sous le coude ?" La prod répond "On a un gros truc c'est une pub Vichy mais c'est pour demain, on a déjà briefé quelqu'un d'autre". Je leur demande quel est le brief et je leur compose une musique dans la nuit. Je leur envoie la composition, vraiment in extremis, le matin, ils me rappellent sur les coups de midi, pour me dire que ma musique avait été prise. Suite à ça, j'ai enchainé, peut-être, une quinzaine de pubs pour Vichy, celà m'a fait un petit nom dans la pub pour cosmétiques. J'ai donc commencé à faire des pubs pour le parfum, à pouvoir avoir des budgets plus conséquents, j'ai fait des compositions pour Dior, Armani, Cacharel, puis mon nom a commencé à circuler auprès des musiciens classiques.
Musique : Polerik Rouvière
A l'époque, il y avait un jeune réalisateur Libanais qui s'appelait Chadi Zeneddine et qui avait tourné son film au Liban, la post production étant faite en France. Il a rencontré plusieurs compositeurs dont moi. Je lui ai montré mon travail, dont celui sur les pubs mais aussi des musiques pop, des quatuors. Mon travail lui plaisait et nous avons démarré la collaboration sur le film "Falling from Heart". Le long-métrage a été sélectionné dans plein de festivals (Rotterdam, New-York, Coppenague, Montpellier et Dubaï). Celui de Dubaï est un grand festival qui faisait venir des stars, à l'époque, pour attirer l'oeil du cinéma international. Ma session était présidée par Michael Cimino, il y avait le film de George Clooney, "Michael Clayton", en ouverture et Sharon Stone faisait partie du jury. Le film a été nominé dans la catégorie "Meilleure musique de film" ainsi que dans deux autres festivals. Ca m'a conforté dans l'idée que j'avais peut-être quelque chose à défendre dans cette branche là.
"Falling From Earth" de Chadi Zeneddine
J'ai continué a faire de la musique de pub car je sais me contraindre aux musiques de commande. Parallèlement à ça j'ai développé des projets plus personnels dont Ulrich Forman. J'ai beaucoup travaillé sur Ulrich forman ces dernières années. J'ai signé en édition chez BMG publishing.
Ils ont eu entre les mains le scénario de "Qui c'est les plus forts". Au même moment, l'année dernière, on m'appelait pour me dire "On a un scénario qui peut t'intéresser, est-ce que tu connais le travail de Charlotte De Turckeim ?". "Franchement je ne connais pas son travail de réalisatrice". On me dit alors "Regarde son dernier film" qui s'appelait "Mince alors !" Je me suis dit "Je ne suis pas client de ce genre de film" et on me dit "Lis quand même le scénario, tu verras c'est différent". Au même moment je reçois un scénario d'un film américain (via un agent aux Etats-Unis) qui s'appelle "N.O.L.A Circus", une comédie burlesque.
"N.O.L.A Circus" de Jean-Luc Annest
Dans le même week-end, je lis les deux scénarios. La pièce dont est adaptée le film de Charlotte, je l'avais aimée et je me suis dit musicalement, il y avait quelque chose à proposer. Pour chaque scénario, j'étais en compétition avec d'autres compositeurs et, sur le film français, j'étais en compétition avec Bruno Coulais et un autre que je ne connais pas. En voyant la pièce, je n'avais pas la même idée de la musique que j'ai eue en lisant le scénario. Il y avait deux axes possibles, j'ai pensé qu'il fallait sortir du côté trop cordes, sirupeux et je me suis dit que quelqu'un comme Bruno Coulais le ferai bien mieux que moi, il a plus d'expérience et il est plus connu. Je me suis dit alors "Reste dans ce que tu sais faire". La production nous a envoyé, à tous les trois, une première séquence qu'il a fallu mettre en musique sans brief de la réalisatrice. Assez rapidement le troisème a été évincé. Après plusieurs séquences envoyées, on m'a dit "Charlotte veut rencontrer Bruno Coulais et également te rencontrer". Quand je l'ai vue, je lui ai dis, "[...] , je fais beaucoup de musiques de pub, si je le fais, je ne ferai pas une musique de commande sur ce film là. Des musiques de commandes j'en fait assez, si je fais la musique de ce film, j'ai envie d'avoir carte blanche. J'ai envie qu'on me fasse confiance". Elle me rappelle le soir même en me disant "Bon, j'ai bien réfléchi. Je pense que vais partir avec toi parce que tu as vraiment une vision singulière du film mais tu me fais une promesse : Tu me promets que tu n'essaieras jamais de faire passer une musique que je n'aime pas" Je lui ai promis.
Tu as déjà signé 3 bandes originales...
P.R. : ... C'est quatre en fait, car je viens d'en signer une nouvelle pour un film qui sort en 2016 et qui s'appelle "Good Luck Algeria" avec Chiara Mastroiani et Sami Bouajila.
Quelle est la plus grande difficulté (pour la création d'une B.O.) par rapport à un album personnel ?
P.R : Je parle de mon expérience car pour chacun c'est différent. La musique de commande pure en pub, j'en fais et je n'ai aucun problème avec ça, c'est ce qui fait que je suis bon dans ce domaine car je ne mets pas "mes tripes sur la table". J'essaie de faire au mieux ce que le "client" souhaite, après avoir décrypté ce qu'il veut dire et j'y vais. Je n'essaie pas de mettre ma patte. Alors qu'en musique de film, je me refuse à faire de la commande pure car je n'ai pas besoin de ça, étant donné que la publicité, est, pour moi, assez lucrative. Donc si je dois passer 6 mois sur de la musique, ce ne sera pas de la commande, sinon ça va être douloureux pour moi et je n'ai pas envie de ça. J'ai envie, au contraire, que ce soit proche de mon travail sur mes albums, de livrer quelque chose de personnel. En revanche, pour le travail sur mes albums, j'ai les contraintes que je me suis fixé. C'est à dire, si l'on parle d'ulrich Forman, au fil du temps, j'ai créé une sorte de charte autour de ce projet là et elle correspond à des références qui sont souvent citées, que ce soit les Beach Boys ou Les Beatles. C'est un bagage que j'assume et que l'on doit retrouver au fur et à mesure des sorties, alors que, sachant que j'ai un éventail large de styles de musique, quand j'arrive sur une B.O., je ne me dis pas que je vais faire du Ulrich Forman ou du Beach Boys ou du Beatles. Je peux vraiment avoir un champ très large. Je ne vais pas aller tête baissée dans la musique orchestrée (Les cordes) , comme bon nombre de compositeurs, car je trouve ça bien mais c'est un instrument comme un autre, ni plus, ni moins, qu'une voix ou quelque chose comme ça. Et la difficulté c'est que sur la musique de film, les contraintes c'est pas forcément moi qui les ai fixées, c'est l'histoire qui les fixe, un ressenti et en plus il faut jongler avec la sensibilté du réalisateur, dont ses peurs. C'est souvent d'essayer, en douceur et intelligemment, jamais en force, d'apporter sur un plateau ta sensibilité et réussir à la vendre au réalisateur. Je pense que d'emblée Charlotte n'aurait jamais dit "partons sur de la folk, un petit peu orchestrée avec des voix", c'est évident que non, mais lorsqu'elle a entendu le résultat qu'il y avait sur les images, elle a été touchée et le but c'est de toucher à chaque fois. Pour dire "ok, je n'y aurais pas pensé mais là c'est bien". Il faut dire qu'en face de nous, même si le réalisateur peut s'y connaitre en musique, c'est nous qui sommes sensés être l'expert et il faut proposer quelques chose. Malgré tout, tu es toujours en train de vendre un truc, ce qui n'arrive pas sur un album pour lequel tu n'as pas de compte à rendre mis à part à la maison de disque, éventuellement, et encore. Alors que là, tu es là, à essayer de dealer. Il y a autre chose, même si ça s'est moins présenté sur le film de Charlotte, si je prends les trois films que tu citais dont "Falling from heart" où le réalisateur, Chadi Zeneddine, avait vraiment peur que la musique prenne tout la place - c'est une vraie question intelligente à se poser pendant la post production : Attention aux thèmes musicaux qui prennent trop de place, parfois ça peut manger l'image, et parfois, la musique est en retrait et c'est une volonté - Le réalisateur avait vraiment cette peur là. Je me souviens d'une projection d'avant mixage, la lumière s'était rallumée et le réalisateur pleurait . Je me suis dis "C'est gagné, je l'ai touché, dans le mille". Il me fait "C'est magnifique mais on ne peut pas, tu viens trop chercher les gens sur la corde sensible". Sur le coup je n'ai pas compris, je l'ai presque mal pris, avec du recul je comprends. Je vois ce qu'il veut dire, il faut être juste. Et à l'inverse sur le film Américain (N.O.L.A Circus, NDLR), ma musique est omniprésente, trop par rapport à ce que je pense, ce que j'imagine qu'il faut faire et le réalisateur ne s'est pas posé la question. La musique est tellement présente que ça l'efface. Charlotte était entre les deux, c'est à dire que sur certaines séquences, un peu à l'ancienne, elle disait "Quand les séquences sont dialoguées, il ne peut pas y avoir de musique sinon ça vient rajouter une autre info au dessus du dialogue" alors que les Américains ne se posent plus du tout cette question là. Donc il fallait lui dire "Mais ça fonctionne quand même, alors ce que l'on peut faire , c'est que je retire le thème on a que l'harmonie derrière" . Donc ça a été quand même de la négociation. Parfois elle me disait "On dirait que la musique vient sauver le jeu des comédiens", je pense que ça c'est une question de génération. Je pense qu'aujourd'hui, les gens qui ont entre 25 et 45 ans ne se posent plus cette question comme ça. Bref, je pense que les choses évoluent sur la place de la musique dans un film. Tout ça pour dire que c'est de la négociation sur le style, sur la forme, sur les thèmes, sur la place de la musique, à quel moment on met de la musique, à quel moment on n'en met pas, il faut en parler. Souvent dans ces discussions là, il y a le monteur qui prend part pour qu'au final tout le monde soit content, en tous les cas, les trois dans un premier temps puis après, j'espère, le public.
Sur une bande originale, tu fais ce que l'on entend dans la bo, ou bien y-a-t-il beaucoup plus de morceaux, et après, s'opère un tri avec la réalisatrice ou le réalisateur ?
P.R. : Si je prends les films que j'ai fait tout récemment qui sont "N.O.L.A. circus" et "Qui c'est les plus forts", en gros sur "Qui c'est le plus forts", ils avaient commencé à monter le film et ils avaient fait ce qu'on appelle un "thème track", c'est à dire que dessus, ils avaient mis d'autres musiques prééxistantes, par exemple des musiques d'autres films et quand ils ont décidé de travailler avec moi, ils demandé au monteur de les retirer. Je ne les ai d'ailleurs jamais entendues. A une époque, ça m'aurait intéréssé de l'entendre mais maintenant ça m'est égal. Ce qui m'a été retiré comme indication, ce n'est pas le style de musique, parce que je savais déjà quoi faire, mais je ne savais pas où ils voyaient de la musique. Donc, Charlotte m'a envoyé le film qui était ce qu'on appelle un "ours", c'est à dire un gros montage de film, qui durait à peu près 2h30, et elle m'a dit "Vas-y, mets en musique des séquences" et j'ai pris un peu comme je le sentais, pas seulement par ordre chronologique. Donc, j'ai commencé à mettre une séquence en musique, puis une autre, puis une autre tout en sachant qu'en même temps, on me renvoyait une version du film qui se resserrait. Donc une séquence que j'avais mise en musique sautait. Alors, tu te dis "Merde, c'est con", il y a des musiques que tu arrives à recycler ailleurs et dans le tas, il y en a qui ont été perdues. Je pense à une séquence sur le film de Charlotte qui avait sauté au départ, qui est revenue après, qui est une séquence où Audrey Lamy et Alice Pol sont dans un bar et Audrey Lamy dit à Alice "Mais tu ne peux pas faire ça". Cette séquence était au début, je l'avais mise en musique, après, elle a été retirée puis remise dans le format où elle est aujourd'hui, suivie par une séquence où Audrey Lamy va voir Bruno Sanchez. Donc, cette séquence a été ficelée comme ça, ce qui n'était pas le cas au départ, lorsque je l'ai mise en musique, et après coup, elle m'a dit "Vas y remets une musique là-dessus". Je leur ai mis la musique que j'avais faite quelques mois avant et puis je me suis dit "Ca marche plus", comme dans la musique j'ai trop de séquence, du coup ça dénote, mais la première musique que j'avais faite c'était celle-ci. Je me disais "La musique est cool".[...] mais la couleur n'a plus rien à voir avec celle du film. J'ai décidé de ne pas la mettre et je pense que dans le film de Charlotte, c'est la seule musique qui ait vraiment sauté. Après il y a une autre musique que j'avais faite, elle m'a fait sauter une partie qu'elle n'aimait pas, donc, je n'ai pas essayé. Je trouvais ça bien, le monteur aimait bien mais comme j'avais promis de ne jamais passer en force une musique, j'ai dit "Ok, je propose autre chose pour cette partie là". Donc c'est une partie dans une musique, vers la fin du film, une séquence où Audrey Lamy prend le train et à ce moment là, on les suit. C'est une séquence qui est très "musicalisée", c'est clipé presque. Tu la vois qui prend le train puis tu les vois chacun dans leur vie. Il y a donc 3 ou 4 minutes de musique non stop au premier plan. Je les avais construites presque comme une chanson avec des couplets, des refrains et un pont - mais la réalisatrice n'aimait pas les refrains qu'elle trouvait trop tristes.
J'ai eu la chance d'écouter cette musique inédite, qui devait illustrer la scène du café avec Audrey Lamy et Alice Pol. Merci à Polérik :).
P.R : Quand j'ai retrouvé cette séquence là, à l'endroit où elle était dans le film, je me suis dit "Ca ne marche plus vraiment" et je me suis aussi dit "Pour le coup, il y a une vraie tension" dont je n'avais pas conscience au départ, comme c'était fait dans le film. Je me disais qu'il valait mieux laisser la séquence vierge de musique. C'est sûr qu'il y en a juste avant et après et, quand je vois Audrey Lamy [...] je pense que sans la musique c'est peut-être mieux. Cette musique, je ne savais pas sur quelle séquence la mettre et donc, je ne l'ai pas recyclée. Pour ce qui est du film américain, c'était plus simple de les convaincre car le réalisateur a tout de suite été fan de mon travail, mais presque "too much" donc je me disais "C'est génial", j'étais hyper flatté. Là cette fois, j'ai avancé dans l'ordre chronologique dans le film et, au bout de sept / huit musiques, il me dit "Celle-ci je n'aime pas du tout". A l'inverse, c'était complètement catégorique "Je n'aime pas du tout, je trouve que ce n'est pas bien, c'est de mauvais goût", je me suit dit "Mince, il a tellement tout aimé que, là, il doit avoir raison. Peut-être que je me suis complètement planté", donc je n'ai même pas cherché à négocier. J'ai retiré la musique et j'en ai fait une autre. Sur cette séquence là, j'ai dû faire quatre musiques qu'il n'a pas aimé. Puis j'ai appris qu'au départ il l'avait montée avec une musique et il avait du mal à sortir de cette musique là, qu'il avait en tête, qui est un gros classique Motown des années 60. Lorsque j'ai appris ça, j'ai proposé quelque chose de complètement différent en me disant que je serais toujours dans l'ombre et là, c'est passé. Donc, il y a eu une séquence sur laquelle je me suis un peu épuisé, sur laquelle j'ai des chutes. Généralement si le réalisateur n'aime pas la musique, ce qui n'est pas le cas de Charlotte De Turckheim, on a du mal à la reprendre pour une autre séquence.
Dans le film de Charlotte de Turckeim, il y a beaucoup plus de chansons, donc chantées par Ulrich Forman, que de musique. Est-ce un choix de la réalisatrice ?
P.R. : Non non, pas du tout. En fait, c'est Charlotte qui a demandé que je sois consulté dès le départ de la "compétition" parce qu'elle connaissait mon travail, ce que je faisais sous le nom d'Ulrich Forman. Elle connaissait parce qu'il y a des musiques de pub. Elle aimait bien, c'est une de ses filles qui écoutait ça. Elle s'est dit que elle, sur ses films précédents, elle faisait toujours appel à des superviseurs musicaux, qui, pour l'aspect commercial, payaient des titres prééxistants, les achetaient, des tubes que tout le monde connaissait. C'est le cas pour le film "Mince alors!", il y a des gros hits que tout le monde connait et ça coute cher à la production. Elle s'est dit "J'ai envie d'une musique originale écrite pour un film et, en même temps, j'ai envie de garder cet aspect chanson, le truc que l'on peut fredonner en sortant du film. Des vrais trucs qu'on peut écouter", même si, finalement monté, comme c'est sur des images, la structure chanson, souvent, je lui ai un peu "cassé la gueule", même si après, je les ai refait en chanson pour la bo où les chansons ne sont pas exactement comme elles sont dans le film.
Donc c'est vraiment elle qui avait cette volonté de chansons. Après je suis un peu revenu sur le sytématisme de metttre des voix, sur lequel je m'étais lancé au départ, parce que, de temps en temps, la voix, il fallait la négocier. Elle disait "Comme il y a du chant en même temps, ça me gêne qu'il y ait de la musique", c'est à ce moment que je lui ai dit "Alors je fais de la musique sans chant". Et il y a de la musique qui s'est donc retrouvée sans chant.
Dans les trois morceaux musicaux, il y en a deux que j'aime beaucoup, qui sont "flashback" et "the storm", car il y a une évolution. Je trouve qu'il y a un début, un milieu et une retombée qui donnent une ampleur a ces deux scènes. Est-ce que tu peux me parler de la construction de ces deux musiques ?
P.R. : Et bien, sur "Flashback", pour la séquence initiale, quand le compositeur travaille sur le film, souvent celui-ci n'est pas terminé et le montage est souvent bien plus long. Sur le film américain c'était l'inverse, il était plus court et il a grandi au fur et à mesure mais ça veut dire que les séquences sont en mouvement et le monteur, heureusement, réagit aussi aux propositions du compositeur. Sur le film Américain, à un moment, j'ai eu une super idée, j'appelle la monteuse "Il faudrait que ta séquence soit un petit peu plus longue. Laisse-moi le temps d'installer mon thème parce que je voudrais essayer de le switcher au milieu mais je n'ai pas assez de temps" et donc forcément, elle me disait "Sans la musique, cette séquence on s'ennuie si on la fait durer". Je finis par lui dire "Attends que je mette la musique". Le montage a donc été adapté suite à la musique et aujourd'hui , elle est restée comme ça. Et à l'inverse, sur "Flashback", la séquence, au départ était beaucoup plus longue si bien que le thème dans la bo est dans sa mouture originale, je ne l'ai pas retravaillé pour la BO, la séquence était longue comme ça. J'ai pensé ce thème avec une rupture au milieu, je sais pas si on l'entend il y a une espèce de montée...
... Oui, qu'on entend encore plus dans le film d'ailleurs...
P.R. : ... Une montée et puis d'un coup une rupture, c'était un peu l'idée de ces filles qui se font casser les pattes constamment. Charlotte m'avait dit que pour elle, la phrase forte du film, c'était lorsqu'Audrey Lamy dit, je cite approximativement "Les gens comme nous ne changent pas", en gros "On est toujours dans la merde et ça ne changera pas, arrête d'espérer" mais aussi "Arrête de demander la permission". Bref, je m'étais dit "Il y a quelques moments qu'on a de temps en temps où on a l'impression que l'on peut sortir de notre condition et puis on se fait casser les pattes". Et donc je trouvais sympa cette espèce d'idée de montée de tension et, d'un coup, pouf, casser le truc pour repartir après puis recasser après. C'était l'idée du thème sachant que dessus j'avais composé un thème au violoncelle que Charlotte trouvait un peu plombant, donc sur le film, je crois que le thème, il est minimisé, il est là encore mais il est moins présent que dans la b.o., bien qu'on se soit battu, parce que le monteur adorait ça comme ça aussi. Elle disait "C'est trop tragique" puis on disait "Mais c'est tragique". En gros, c'était l'idée d'une montée, d'une espèce de libération qui se fait casser à chaque fois. C'est comme ça que j'avais pensé le truc. Et ça, c'est l'un des premiers titres que j'ai fait, d'ailleurs, moi je l'entends dans l'orchestration, outre les cordes, il n'y a pas vraiment d'ensemble de cordes. Les cordes ont été enregistrées ici. Les cordes c'est que du violoncelle, j'ai écrit toutes les partitions et il joue, il rejoue puis il rejoue par dessus lui-même donc ça donne un ensemble mais un ensemble de violoncelles et pas du tout l'ensemble qu'on a l'habitude d'entendre. Donc c'est très dans le bas, c'est très sombre, très rond parce qu'on a pas la vraie hauteur des violons et des altos. Dans la construction de la rythmique, j'ai mis des petits trucs genre électro et, au total, c'était gardé sur ce titre-là alors qu'après, finalement, sur le reste, on m'a demandé de gommer ce truc là. Je ne sais plus très bien comment ça s'est passé. Ce que l'on entend dans la rytmique de "Flashback" on ne l'a plus vraiment dans les autres titres. On a des éléments un peu electro, de boite à rythme.
En tout les cas deux beaux morceaux que j'ai beaucoup apprécié.
P.R. : Merci.
Est-ce que tu n'a pas été tenté d'écrire des morceaux par personnage ?
P.R. : J'aurais pu être tenté car sur le film américain, c'est ce que j'ai fait. J'ai des morceaux par personnage, en tout cas par groupe de personnages. Là c'est un peu différent parce que comme mon approche du film a été différente, on m'a d'abord envoyé des séquences. En effet, quand j'étais en compète, on m'envoyait une, puis 5 séquences, pour moi c'était plus des séquences, des situations et après quand j'ai eu le film dans sa longue version, j'ai continué à fonctionner comme ca. Après, j'ai écrit un thème, par exemple, le titre qui s'appelle "The storm", pour moi, ça évoque l'accident, et tout ce qui s'y rapporte, parce que dans la version finale, on retrouve cette musique là aussi dans le stade où la jeune fille se prend un coup. Il y a eu ensuite un opéra par dessus mais au départ c'était le même thème que l'accident de voiture. Donc c'était "The storm" qu'on retrouvait là : pour moi c'était les prémices de l'accident, tout ce qui nous menait vers l'accident, c'était ce thème là.
Le thème "The morning", pour moi, c'est le personnage de la mère. A chaque fois que l'on évoque la mère, dans des orchestrations différentes, c'est le même personnage. Et pourquoi "Morning", parce que je crois que la première fois qu'on évoque la mère, la petite fille entend, enfin quand elle rêve, elle entend sa mère qui rentre et à ce moment, la première exposition du thème est là. Puis à chaque fois qu'on a la mère ou que les deux soeurs parlent d'elle, ce thème est réccurrent. Donc je trouvais ça interressant de créer un thème pour un personnage qui n'est pas trop à l'image mais qui est présent dans l'histoire, parce que c'est un vrai rôle psychologique. C'était important de l'incarner par un thème.
Donc, Ulrich Forman c'est ton double, on peut dire. Pourquoi sur la bande originale, d'après ce que j'ai vu sur les plateformes légales, il y a les deux noms ?
P.R. : Il y a les deux noms parce que ça fait longtemps que je fais de la musique à l'image, et je signe Polérik Rouvière, ce que je fais sur "Falling from heart". Sur mon label, je produis d'autres artistes et j'ai des projets à moi que je fais sous différents pseudonymes, Ulrich Forman, "Ledge", même si c'est un duo et d'autres choses. Je sais qu'Ulrich Forman est le projet le plus personnel, qui a une visibilité médiatique la plus importante. Jusqu'ici, je m'étais dit que je n'avais jamais chanté mais là c'est tellement proche de ce que je fais sur Ulrich Forman quand je chante, le principe des choeurs, des voix. Je me dis "Bon, peut-être que le public peut retrouver, pas forcément dans la musique mais dans les chants, vraiment l'empreinte d'Ulrich Forman". Je me suis dit "C'est dommage de se priver de cette exposition médiatique, d'une part pour être honnete et d'autre parce que c'est assez marrant de jouer un peu, comme depuis le début, sur Ulrich Forman". Il y a un peu le côté schyzophrène dont on me parle souvent: "Pourquoi Ulrich Forman alors que c'est pas vous là?". Je trouvais rigolo d'importer ce personnage, les gens qui ne connaissent pas pensent sans doute que c'est la collaboration de deux personnes...
... Ce que j'ai cru au départ, je dois avouer.
P.R. : Donc c'est marrant et ça peut inviter les gens à aller voir ce que je fais sous le nom d'Ulrich Forman et à l'inverse, le public d'Ulrich Forman à regarder ce je fais. C'était pour créer un peu des ponts sachant que je ne cite Ulrich forman que lorsqu'il y a des voix. quand il n'y en a pas je me dis que, là, c'est moi (rires).
D'ailleurs effectivement, c'est la démarche que j'ai faite puisque, sur Spotify, j'ai pu écouter ce qu'Ulrich Forman avait chanté. D'ailleurs j'aime beaucoup la b.o. parce que ça ressemble un peu, pas forcément niveau instrumentalisation, mais au niveau des voix à Pink Floyd, et j'aime beaucoup ce son.
P.R. : Je suis un fan des Beatles et donc de Pink Floyd qui est une suite logique. Je suis un fan de David Gilmour et, en l'occurence si on parlait de Pink Floyd, eux étaient aussi des fans de cinéma et auraient - légende ou vérité - à l'époque, été approchés par Kubrick pour faire la musique de "2001 odyssée de l'espace". Finalement il s'est rabattu sur "Ainsi parlait Zarathoustra", mais sur la séquence de fin de "2001" on peut trouver sur internet la version synchronisée de "echoes" sur les images de Kubrick et effectivement ça matche. Moi j'adore et en tant que fan de Kubrick et de Pink Floyd, quand je vois les deux ensemble je me dis mais c'est "stir", ça! Mais bon au final ça n'a pas été le choix du réalisateur, il faut le respecter. Mais ça me plaît de croire, même si ce n'est pas vrai, que ça a été écrit et composé pour les images de 2001 .
Justement, sur Spotify, c'est un exemple, il y a la dernière BO, il n'y a pas les deux autres, c'est toi qui a décidé ?
P.R. : Il n'y a pas "Falling from heart".
Oui celle-là et l'autre, entre les deux.
P.R. : Oui, "N.O.L.A," n'est pas encore sur Spotify parce que le film n'est pas encore sorti, il sort en automne. Il y a "Falling from heart" qui n'est pas sur Spotify parce que la production n'a pas sorti la B.O., ce qui est dommage. La musique du film avec Chiara Mastroianni, de Farid Bentoumi , sortira en même temps que le film, en janvier ou février (2016, NDLR). Pour le coup, il y aura une b.o. et sur le film américain aussi. Pour "Falling from heart", ils n'ont pas sorti la bo pour des raisons que j'ignore, tant pis.
Y-a-t-il des projets d'albums pour Ulrich Forman ?
P.R. : Il y a un single qui sortira à la rentrée, fin Septembre, et l'album qui sortira en même temps que le film de Farid Bentoumi, fin Janvier 2016.
Est-ce qu'il y a un réalisateur avec lequel tu aimerais bien travailler, ou une réalisatrice ?
P.R. : En fait, mes grandes références, de façon générale dans la musique, que je travaille sur du disque ou bien sur de la musique à l'image, ça va être Ennio morricone et Les Beatles. Sachant que moi, je ne me mets pas de limite d'orchestration , c'est à dire que je peux très bien faire un truc folk dépouillé et un truc pour quatuor ou un truc electro. Après, dans le tas il y a d'autres trucs que j'adore. Morricone a enfanté de nombreux compositeurs jusqu'à des compositeurs récents comme Clint Mansell. Je pense à ce film "Trois enterrements" de Tommy Lee Jones, je trouve que la musique (Composée par Marco Beltrami, NDLR) est grandiose et je me dis que sur ce genre de film où il y a de longues séquences comme dans les westerns de Sergio leone, où le réalisateur prend son temps pour laisser la place à la musique, je ne dis pas que la musique doit prendre toute la place, mais de temps en temps la musique un peu contemplative ça me plait aussi. Il y en a plein [De réalisateurs]. Là je parle de Tommy Lee Jones, ça me plairait. J'ai travaillé en pub mais malheureusement jamais en cinéma pour Darren Aranofsky parce que j'avais une pub pour Givenchy et j'adorerais travailler avec lui, ça me botterais. J'ai adoré "Alabama Monroe" (Composée par Bjorn Eriksson, NDLR). Ce film belge où je me dis que la musique a une grande place. Plus qu'un réalisateur, il y a des ambiances qui me touchent vraiment. Je pense que quand tu arrives dans ce studio et que tu vois les montagnes derrière, si tu plaques dessus la musique du film de charlotte, qui n'a rien à voir avec ça mais juste la musique, ça matche à priori. Ce genre d'ambiance, ca me botte grave.