Interview : Thomas Couzinier et Frédéric Kooshmanian
Dans un précédent article, j'ai déjà parlé de la musique de "Zone Blanche" diffusée actuellement sur France 2, qui était un véritable coup de coeur. J'ai eu le privilège de pouvoir m'entretenir avec les deux créateurs de la b.o. Thomas Couzinier et Frédéric Kooshmanian, un très bel échange convivial! Un grand merci à eux pour avoir bien voulu consacrer un peu de temps à notre blog et répondre à nos questions. Si comme moi, vous êtes fan de cette ambiance mystérieuse et intense, je vous rappelle que le cd sera disponible le 21 avril (Vous trouverez ici le détail des titres). Allez, si l'on parlait un peu du travail des compositeurs maintenant?
Vous êtes un musicien éclectique, un compositeur, un designer , créateur de labels, avec votre frère Grégoire, quelle est votre activité prédominante?
Thomas Couzinier : Mon activité se partage vraiment entre mon travail de compositeur pour la publicité et la musique de fiction , et je m'occupe de produire des musiques pour mon label.
Comment avez-vous été amené à collaborer avec Frédéric Kooshmanian qui travaillait jusqu'alors dans un style un peu différent du votre ?
T.C : Oui, dans un style plus orchestral, mais il mélange aussi souvent ce style avec des couleurs électroniques, moi je viens plutôt du rock et de la musique électronique. On essaie de mélanger tout ça comme dans "Goal of the dead" (2014), par exemple, qui était un mélange d'électronique, de rock et d'orchestre. On bosse ensemble depuis une dizaine d'années, j'ai produit pas mal de musiques de publicité que Frédéric a composé, puis un film de fiction, "Mutants" (2009) de David Morley, "Home sweet home" (2013) un film produit au Canada du même réalisateur. Ensuite on a fait "Goal of the dead"et là "Zone blanche". Donc sur les 5 dernières années.
Frédéric, par rapport à votre parcours qu'est-ce qui vous a amené à la musique de film?
Frédéric Kooshmanian : La passion de l'image, j'adore ça et j'ai toujours voulu faire ça.
Pour zone blanche à quel moment êtes-vous intervenus?
F.K : C'était un concours,
T.C : Un appel d'offre.
F.K : On a travaillé avec Thomas en amont, avec Thierry (Poiraud, l'un des deux réalisateurs, NDLR) , on avait un petit pitch avec une photo et on a fait des thèmes par rapport à ça.
- Des premiers thèmes ont été envoyés en Avril, puis la réponse a été donnée en Juin de l'année dernière -
T.C : On avait une vingtaine de thèmes en Août, on a tout donné aux monteurs qui les ont calé sur le film en cours de montage. On a fait des allers-retours avec eux et le réalisateur jusqu'à la fin Février, la fin du mix.
F.K : On a beaucoup travaillé avec eux, avec Vincent Mouluquet, le producteur, avec aussi le scénariste et François, de France 2. Toutes ces personnes nous ont apporté des choses, elles nous ont aidé à travailler vraiment sur le sujet. C'était un vrai échange. Nous n'avons pas fait la musique à part, nous avons tous travaillé ensemble.
Est-ce que les réalisateurs avaient une idée précise de ce qu'ils voulaient alors est-ce qu'ils vous ont laissé totalement libres de faire ce que vous vouliez?
T.C : Ils avaient certaines envies, mais nous avons proposé de discuter avec eux de leurs envies de leur univers, cette envie d'avoir des éléments qui rappellent peut-être le western - du coup on a pensé au banjo - il y avait l'envie d'avoir des cordes, des éléments mélodiques. Au montage ils avaient mis une partie de nos thèmes et d'autres musiques qui étaient peut-être un peu moins mélodiques, qui étaient plus des drones, des textures, des ambiances. On a essayé de garder ça, mais de l'enrichir. Et ça, c'est venu à force de discussions avec eux, d'échanges, des fois des prises de tête.
F.K : Nous, notre envie à la base c'était de faire des thèmes pratiquement par personnage et notamment la forêt qui est un élément à part entière de la série. C'était un peu notre propos, avec Thomas, d'essayer d'avoir des thèmes récurrents pour chaque personnage, essayer de se dire qu'après on allait pouvoir les développer selon l'évolution du personnage et aussi selon l'évolution de la série puisqu'il y a 8 épisodes et qu'il ne se passe pas toujours la même chose sur chacun. C'est une série à multiples étages, à multiples lectures, c'est ce qui faisait la richesse de cette série et c'était ce qui était intéressant pour nous, ça nous donnait vraiment une matière de travail très intéressante. Après, on a amené des thèmes par épisode avec l'arrivée d'autres personnages.
T.C : Il n'y a pas que des personnages, il y a aussi des lieux comme la grotte, la forêt. C'est pas forcément des thèmes, parfois ça devient un son ou une tessiture qui devient leur leitmotiv, leur signature. Par exemple la grotte c'est une espèce de pulsation basse qui monte et qui prend son ampleur par la suite. Elle est toujours en filigrane. La nature est toujours en filigrane.
F.K : On a pas mal travaillé sur les textures de sons notamment sur les cordes frottées.
Comment s'est divisé votre travail pour tous les deux? Est-ce que vous avez pris une partie chacun, où est-ce que vous avez tout pensé en commun?
F.K : Nous, on fait tout à quatre mains. Comme je dis toujours, j'ai la chance de travailler avec Thomas, qui a une qualité que peu de gens ont, il sait écouter. Du coup c'est extrêmement facile à travailler, c'est un vrai échange, on est toujours en train de jouer au tennis de table ensemble, mais le principe c'est 4 mains et deux cerveaux. Après nous sommes des passionnés d'images on adore travailler à l'image.
T.C : On s'est immergé tous les deux 3 semaines chez Fred. On s'est immergé dans cette ambiance, et quand on a commencé avoir plein de matière, au bout de 4 épisodes, on a pu jouer avec tout ça pour les épisodes 5 6 7 et 8, mélanger les thèmes entre eux, mélanger les textures.
F.K : Tout ça aussi en échange avec les monteurs.
T.C : Il y a peut-être une chose particulière que nous faisons, c'est que le processus de composition est souvent lié au processus de création sonore, de mix. Tout ça se fait un peu en parallèle. Le son fait partie intégrante de la composition et le travail sur les timbres. C'est ce qui donne la couleur particulière à la B.O. en dehors de l'aspect harmonique et mélodique.
Justement Thomas, votre travail sound designer a-t-il influencé la b.o.?
T.C : Oui absolument, on travaille les matières sonores et la musique comme un monteur son. On peut la ralentir, l'accélérer, jouer sur les effets. L'important c'est le résultat, tu sais pas si ça a été produit avec un faux ou un vrai instrument. Les sons de violons, par exemple, qu'on va ralentir pour produire une belle nappe. Ça, c'est vraiment des techniques qui viennent du montage son, de la musique électro acoustique.
Quelles ont été vos inspirations pour cette B.O?
F.K : Si l'on parle de classique, je suis un grand fan de Gustave Mahler, aussi d'Igor Stravinsky, ce sont un peu mes bases. Après, dans les compositeurs de musique de film, je suis un grand fan de Georges Delerue, Maurice Jarre et évidemment Ryuichi Sakamoto qui est notre Dieu. Évidemment le grand c'est Ennio Morricone, pour nous, parce qu'il représente l'essence même de la musique de film à travers les mélodies. Je ne dis pas qu'il faut avoir des mélodies partout mais avoir des mélodies, ça permet aux gens de rentrer plus dans le film c'est un travail de l'oreille et du visuel on a toujours adoré ça. J'aime beaucoup aussi Howard Shore. Dans le "Seigneur des Anneaux" il a vraiment cet art de croiser les thèmes entre eux et c'est assez impressionnant.
T.C : Moi j'aime beaucoup "Crash", on entend deux, trois notes et on sait tout de suite où on est. "Crash" ça marche super bien parce qu' il y a une espèce de mélodie étrange et un son qui est fabriqué autour des guitare,s de harpe, de percussions métalliques, ça donne une sonorité qu'on n'oublie pas et qu'on rattache tout de suite aux images, au souvenir qu'on a du film.
F.K : Le principe c'est aussi de se dire que ça fonctionne à l'image. Entre nous on se ménage pas, cette facilité de travail elle est là aussi. On peut se parler sans qu'il y en ait un qui se vexe. on essaye que la bande-son, la B.O. fonctionne réellement. Et des influences on en a beaucoup.
Est-ce que c'est plus facile de travailler sur un long-métrage comme Call of the deep ou sur une série comme Zone Blanche?
T.C : C'est deux travaux complètement différents. "Goal of the dead" est une comédie horrifique qui fait référence au cinéma du genre comme John Carpenter et le cinéma des années 80, c'était plus un exercice de style. Pour "Zone blanche" c'est une approche beaucoup plus personnelle, même si on avait des choses spécifiques comme la forêt, ça reste plus personnel.
F.K : Je pense qu'il y a eu un échange beaucoup plus intimiste, la collaboration n'était pas la même, c'était pas du tout la même chose.
Avez-vous envisagé la musique par épisode?
T.C : On a envisagé la musique avec Villefranche et les personnages. On a essayé de penser à un global, ce mystère, ce côté étrange. On découvre chaque protagoniste au fil des 8 épisodes. On a essayé d'avoir une base qui permet d'identifier cette série, c'était l'idée.
Il y a beaucoup de matière, la b.o. est très riche, c'est rare pour une b.o. de série d'avoir une b.o. aussi longue et de qualité. Il y a des morceaux comme "la grotte" et "hallucination" qui sont de longs morceaux?
T.C : Sur les premiers épisodes Thierry a pensé à beaucoup de séquences très musicales, des choses qui se développent, qui enveloppent l'histoire dans un aspect un peu narratif. On a plutôt attaqué ça comme 8 longs métrages que comme une série.
F.K : Ca fait 52 min à chaque fois, donc on a le temps. Après, notre propos c'est pas d'en coller partout, nous ne sommes pas obsédés par le fait de mettre 52 min de musique sur 52 min de film, mais là, ça s'est trouvé comme ça, il y avait "un peu de travail"! (rires). La b.o. c'est 1h40 sur le cd, sinon il y a eu 4 heures de musique de faite.
Les thématiques pour Laurene, le proc et marion, se sont-elles imposées tout de suite ou vous avez discuté d'abord par rapport à ça?
T.C : Sur Marion, c'est un truc qui est venu au fur et à mesure, il est arrivé un peu plus tard. les épisodes se sont faits en 2 groupes, les 4 premiers puis les 4 derniers. Souvent Marion évoque un souvenir lointain, récurrent au piano. Le thème de Laurene est venu dès le début, et le thème du proc ce n'était pas du tout un thème pour ce personnage au départ, le monteur avait mis un autre thème. Ca marchait super bien, on a gardé l'idée, pour le côté un peu caricatural du personnage lors de ses entrées. Après, on voulait souligner aussi le côté obsessionnel, donc on a mélangé les deux.
F.K. : Marion est aussi un thème obsessionnel, basé sur 3 notes qui reviennent, on ne sait pas où est Marion, elle a disparu, ses parents sont désemparés. On voulait avoir un thème simple, mais qui rappelle une photo, une discussion, un souvenir...
Comment vous avez vécu le succès FIPA?
F.K : Très contents! et surpris! Nous avons dédié la récompense à toute l'équipe de la série, techniciens, monteurs acteurs... Un très beau moment. On n'avait rien préparé!
La B.O. est très agréable à l'écoute, même en dehors de la série, c'est l'avantage de cette musique qui peut s'écouter en dehors du support.
T.C : Ca n'a pas été facile d'adapter la musique en 1h40, mais tant mieux si nous y sommes arrivés!
01 - Zone Blanche
02 - Le Proc
03 - Laurene
04 - Ou Est Marion
05 - Le Proc Enquete
06 - Ballade En Foret
07 - La Scierie
08 - C'est La Foret Qui Le Maintient En Vie
09 - Reflexe Naturel
10 - Overdose
11 - Sous Tension
12 - Les Enfants D'Arduinna
13 - Le Bebe
14 - La Cascade
15 - Slowdown
16 - Il Est Vivant
17 - Retrouvailles
18 - Investigation Matinale 1
19 - Les Abimes
20 - Les Fuchs
21 - La Grotte
22 - Hallucinations
23 - Flashback Laurene
24 - Investigations Matinale 2
25 - Cadavre En Foret
26 - Video
27 - La Pelle
28 - Le Cimetiere
29 - Reconstitution
30 - Rencontre Avec Le Loup
31 - Investigation Matinale 3
32 - La Forêt
33 - Le Voyage De Rico
34 - Les Corbeaux
35 - Introspection
36 - Deposition
37 - L'Homme Et Les Serpents
38 - Rave On
39 - Variation Sur Le Theme De Zone Blanche
40 - Flashback En Foret
41 - L'Homme Des Bois
42 - Laurene Et Bertrand
43 - La Carriere
44 - Bertrand
45 - Paisible Villefranche
46 - Tourbière