Interview : Cyril Morin
Cyril Morin nous a reçu dans son studio sur Paris. Une ambiance conviviale pour un échange généreux avec un compositeur amateur de nouvelles expériences. Nous avons parlé de l'album évènement, Borgia, contenant pas moins de 4 CD, c'est à dire l'intégral de la première saison et qui sortira le 15 Décembre prochain. Nous sommes revenus aussi sur l'album perso "New Dawn", dont je vous parlais, il y a quelques temps.
LMDF : Pour la série Borgia, la sortie du quadruple CD est un événement pour tous les fans de musique de film, comment est né ce projet ambitieux ?
Cyril Morin : En fait il est né de la série, de la première saison, sur laquelle j'ai travaillé. La première saison, c'est toujours la plus difficile parce que c'est le lancement. Faire un lancement de série c'est toujours important. Après la sortie de la série, on a fait une B.O. constituée de morceaux assemblés à la suite, et qui sont les morceaux les plus longs qu'on puisse avoir dans la bande originale. Ça reflète la musique, mais ça ne reflète pas la B.O. En fait, quand j'ai regardé les petits morceaux dans les cue sheet de chaque épisode, j'ai trouvé ça intéressant. J'ai fait un épisode entier ou j'ai mis toutes les musiques, dans l’ordre, à la suite, chose qu'on ne fait absolument jamais. En faisant ça, on sort du thème qui fait trois minutes, etc. Et on rentre dans un thème qui fait aussi trois minutes mais dans lequel il y a une action, une autre action, une autre action et l'on a quelque chose qui est plus proche de l'opéra avec des rebondissements, et avec un côté épique, avec un côté plus doux ou avec un côté plus mystérieux, et finalement ça reflète beaucoup plus le travail sur une bande originale que d'avoir le morceau n°1 un peu étendu, mais qui n'est pas coupé comme ça dans le film. C’est une première mondiale d’avoir repris les thèmes à la suite, on a vraisemblablement 90 % de la musique dans les CDs (cue par cue) c’est un gros travail car il y avait environ 150 morceaux et ça reflète beaucoup plus le travail d’un compositeur sur une série, alors que dans un long-métrage, on est plus proche d’une BO classique et dans la série en général on met quelques morceaux, mais ça ne reflète pas le travail du compositeur, le montage de la musique, ou la succession des ambiances.
Donc, c’est vous qui avez démarré le projet ?
C.M : On en a parlé avec Denis Furne et Arnaud Gauthier et on a tout de suite eu envie de le faire, c’était une idée que j’avais comme ça et finalement ça s’est avéré être extrêmement intéressant car l’écoute n’a rien à voir, on voit vraiment l’architecture de la composition dans un film, je crois que c’est la première fois qu’on fait ça, c'est assez novateur.
Au niveau de tous les morceaux, comment s’est passé le réenregistrement et le mixage?
CM : En fait, je n’ai pas réenregistré, ni remixé : c’est plutôt un travail d’assemblage de la musique, on a essayé de respecter l’ordre, mais au lieu de faire les choses en continu, on a mis des ensembles de morceaux pour ne pas que ce soit trop long, pour que ce soit des ensembles de morceaux un peu maîtrisés. Il y a eu tout de même un peu de mastering dessus, on a travaillé sur les volumes et les sonorités, mais ça sonnait déjà bien donc il n’y avait pas tellement de choses à faire.
J’ai vu que dans cette grande édition, il y avait des morceaux marqués "alternate version", est ce qu'il s’agit de morceaux complémentaires au premier CD (Sorti en 2011, NDLR)?
CM : Quand on a livré les cue sheet, on a laissé parfois deux ou trois morceaux. En l’occurrence, comme nous n'étions plus liés par les images, j'ai pu choisir les morceaux qui me semblaient pertinents, c'est pour ça que nous avons des "alternate version".
Quelle est la plus grande difficulté pour la BO justement par rapport à tout ça ?
CM : Sur cet album (De 4 CD) précisément, il n’y a pas eu de difficulté, en revanche sur la première BO, ça été un vrai challenge, c’est une série qui a demandé beaucoup de moyens, les attentes étaient extrêmement grandes, il a fallu gérer la pression sur la musique. C’est très similaire à ce qui peut se passer dans les studios Américains au niveau de la musique, car artistiquement tout était à faire. Et ça explique aussi la politique autour des bandes originales aujourd’hui, où on demande beaucoup.
J’ai vu qu’il y avait beaucoup d’échanges avec l’orchestre concernant la musique?
C.M :Oui, car lorsque je travaille avec les musiciens, je travaille sur l’interprétation plus que la musique, les musiciens sont des acteurs et le chef d’orchestre doit aussi être un acteur. A partir du moment où l'on doit insuffler l’interprétation et la façon de jouer ce que ça doit dire, on a réussi. Donc dès qu’on a de très bons musiciens, il faut les amener à faire un chemin qui est le chemin du film. Au-delà d’une interprétation musicale, on est dans une interprétation de jeu d’acteur.
Justement par rapport à l’interprétation est-ce que la production avait des critères précis dès le départ ou alors est-ce qu’elle vous a laissé un libre choix ?
C.M : Il y a beaucoup de domaines en musique ou les producteurs et les réalisateurs ne peuvent pas aller, par exemple au niveau technique, il faut savoir expliquer et transmettre ce qu’on veut au final, et après, le compositeur doit lui-même transmettre ça aux musiciens et aux chefs d’orchestre. Pour l’enregistrement à Budapest, je ne parle pas trop en termes musicaux, je préfère parler d’images et de couleurs parce que j’estime que tout est écrit, l’idée est de les amener sur un chemin en parlant crescendo, sonorités plus claires, plus sombres, ton plus léger ou dramatique, là, ce sont des mots qui me parlent plus pour évoquer la musique de film.
Comment définir la collaboration sur la première saison de la série avec Tom Fontana ?
C.M : Tom Fontana est un formidable show runner, il a fallu trouver une façon de communiquer ensemble sur la musique.
Donc ça a nécessité un vrai travail de communication avec le réalisateur ou bien est-ce qu’il y a eu une mise en phase dès le départ ?
C.M : On a surtout travaillé avec Denis Furne, le producteur de la musique, ce qui est une très bonne chose. J'ai eu une large liberté dans la manière de travailler. Ca a été à moi de faire des propositions, d’ailleurs j’avais fait une heure de musique avant le lancement de la série que j’avais fait écouter à Tom à New York avant qu’on commence. Ensuite j’ai vu les images, je voulais sélectionner les thèmes, on a tout gardé au final. Car il y avait beaucoup de matériel, il y a cinq ou six heures de musique dans la première saison,du coup c’était à moi de proposer en permanence, et quand j’avais des réponses négatives j'ai puisé dans mes propres ressources pour chercher les idées et être force de proposition.
Qu’est-ce que vous aviez comme matériel de base pour travailler la musique ?
C.M : C’est Tom Fontana, au niveau du montage, qui a fait un super travail. C’est impressionnant les images que j’ai reçues avec toutes les différentes étapes du montage. On sentait une grande maîtrise du montage et de la narration, j’ai appris énormément de choses de Tom Fontana sur cette série.
Y a-t-il une grande différence entre la musique que l’on compose pour une série pour un film un long-métrage ?
C.M : Je prends toujours la phrase de Lalo Schiffrin qui me disait : "Les longs-métrages sont des longues lettres d’amour et les séries sont des fax (ou des tweet)". C’est à la fois vrai et pas vrai, à l’époque d’un Mannix, il fallait que le thème soit reconnaissable. Aujourd’hui on a une relation complètement différente avec les séries, on peut les visionner quand on veut et on n’a pas ce problème du thème car c’est nous qui décidons d’aller le chercher. Ce n’est pas quelque chose d’imposé à une heure, à 20 heures par exemple, donc là on est dans une configuration complètement différente, on n’a pas besoin de fidéliser uniquement sur les premières notes, ce n’est pas obligatoire, donc la musique a un peu plus de liberté, elle n’a pas besoin d’être super mélodique avec un thème reconnaissable identifié sur l'immédiat. Il y a moins d’obligations sur les séries qu’il y aurait pu y en avoir avant, même pour certaines séries françaises notamment les séries d’été, pour lesquelles il fallait vraiment faire de grands thèmes épiques. il y a eu vraiment une évolution à ce niveau, on peut maintenant arriver avec des sons et créer une belle ambiance pour la série. On est toujours sur des morceaux très courts dans les séries, par exemple comme Mad Men qui a de très belles chansons, un peu de musique quand même, mais un peu en retrait. Et on a des séries comme The crown, où l'on remet du grandiose, ça va avec le thème. Il y a toujours une différence entre composer pour une série et composer pour un film. Ces dernières années on trouve des choses aussi intéressantes en série qu’en film.
Au niveau de la grande édition je n’ai pas l’impression qu’il y ait beaucoup de thèmes récurrents ?
C.M : Mais avez-vous eu l’impression d’être dans la même ambiance ?
Oui. Mais à partir du CD no 4 j'ai l'impression qu’il y a plus d’action, de mouvement, on sent vraiment une évolution comme si ca s’éclairait.
C.M : C’est parce qu’on arrive à la fin de la série, c’est un peu lié à la méthode de travail, moi j’étais prêt à travailler sur des cases thématiques et ça n’a pas été demandé, donc que j’ai fait avec des propositions permanentes pour des personnages qui évoluaient sans cesse. Une des raisons pour lesquelles on aime les séries, c’est qu’on recherche la psychologie, un peu perdue au cinéma, où on la développe sur des arcs très courts, à l’exception des grands films épiques qui se font rares aujourd’hui. En série, on a la possibilité de développer l’arc d’un personnage sur plusieurs saisons et de faire en sorte que le personnage se transforme, change. On va vers la série aussi pour cette évolution psychologique que l’on ne trouve plus au cinéma. Par exemple, la différence entre Mission Impossible et Batman begins, c’est que dans Batman begins il y a une évolution sur le devenir du personnage, tout comme beaucoup de films des années 70 qui ont un arc psychologique assez développé. Aujourd’hui, le cinéma offre plus rarement ce schéma, on va donc chercher cette complexité dans les séries. Il y a une richesse dans l’évolution des personnages. Quand on va voir un film au cinéma et que l’arc psychologique est le même du début à la fin, il y a comme une frustration inconsciente.
Justement, du fait de l’évolution des séries, on a le sentiment que les éditeurs osent un peu plus sortir les bandes originales, ça se développe plus qu’avant, comme Stranger things par exemple.
C.M : Il y a une raison à ça, c’est que la série est populaire et ça donne du sens de sortir quelque chose de populaire, et puis il y a plus de matériel, beaucoup de matériel pour une série il y a 4,5,6 ou 7 heures pour une saison. C’est pour cette raison que les éditeurs sont plus favorables à sortir les bandes originales, on ne sort pas quelque chose qui n’est pas populaire ou très rarement. On achetait plus le titre principal d’une série généralement par compilation. Aujourd’hui on n’est plus sur la création d’ambiance avec des thèmes, par exemple sur True bloods, c’était intéressant la musique de cette série avec le violoncelle et des instruments du bayou.
A côté de la sortie du quadruple CD il y a aussi l’album perso Jazz Fusion, c’était quelque chose que vous vouliez faire depuis longtemps ?
C.M : J’étais dans ce projet depuis deux ou trois ans, et ça me demandait beaucoup de travail, pas seulement de composition, mais de pouvoir jouer moi-même. Je devais me mettre en adéquation avec les très bons musiciens avec lesquels j’ai travaillé.
Vous pouvez nous parler de ces musiciens?
C.M : Il y a deux musiciens avec lesquels je travaille depuis très longtemps, Julien Tekeyan, à la batterie et Christophe Gauthier aux vents, ils ont travaillé sur les bandes originales de La fiancée syrienne et Zaïna. La belle rencontre, c’est avec William Lecomte qui travaille comme pianiste également auprès de Jean-Luc Ponty. Je ne voulais pas aller dans les clichés du jazz, il y avait des formules, des styles, des accords, dont je ne voulais pas. Il a très bien compris ça, et il y a mis une très belle patte artistique. Une autre très belle rencontre, c'est avec Bob Leatherbarrow , le batteur qui habite à Los Angeles et qui a joué avec Stanley Clarke, Nathalie Cole, ou encore Mancini. Il a joué aussi du vibraphone sur certains morceaux de l’album.
Comment s'est passé l’enregistrement de l’album?
C.M : J’ai d’abord enregistré toutes mes maquettes. Ensuite, j’ai joué avec les musiciens et c’était un peu un travail de production car il fallait créer une osmose, il ne fallait pas qu’on ressente le réenregistrement. Au final, c’est ce qui donne un son à cet album, il y a plus de production car chaque son est détaillé et j’ai pu le faire grâce a cette méthode de production
Dans le reportage Art of Soudtrack, vous évoquez le besoin de travailler en dehors de la musique de film, la trilogie américaine s’inscrit dans cette nécessité ?
C.M : Oui et non, car depuis quelques années les bandes originales qui m’ont le plus marqué ont été composées par des gens qui ne venaient pas de la musique de film. Il y a un genre musique de film, on a tendance à s’y complaire, on a toujours un peu tendance à se répéter, moi le premier. J'aime bien le travail des gens qui viennent d’ailleurs comme John Greenwood, Trent Reznor, Mica Levi etc. En tant que compositeur, on a nos sons préférés, nos instruments préférés, et cela peut devenir répétitif, du coup, j’ai toujours fait des projets en dehors car je ne viens pas de la musique de film, j’ai fait du jazz, du rock... j’ai même été acteur, j’ai donc cet esprit d’aller chercher ailleurs, en dehors de la musique de film, il y a des albums que j’ai fait proches de la musique de film et des albums que j’ai fait pour essayer des choses comme l’album Western Pansori. J’ai composé des quatuors à cordes. J’ai toujours eu besoin de faire des choses différentes, travailler sur la musique du film en fait partie. En revanche réaliser un film demande énormément d’investissement et de temps, la trilogie s’est étalée sur trois ans à 5ans.
Effectivement chaque film a une ambiance particulière qui retransmet bien les émotions.
C.M : C’était un projet ambitieux, car dès le départ j’ai eu envie de faire trois films, j’avais envie de filmer comme ça un temps aux États-Unis qui soient des tragédies Américaines mais aussi des tragédies universelles. C’est réalisé avec des moyens réduits, et avec certains acteurs que l’on retrouve dans plusieurs films. C'était très intéressant de travailler avec eux, ça demandait une énergie énorme. Maintenant je travaille sur des choses plus importantes, plus de casting, avec plus de moyens techniques, je n’en dis pas plus pour l’instant. J’ai fait un court-métrage cet été à Los Angeles mais ensuite les projets sur lesquels je travaille sortiront plutôt en 2019/20.
Est ce qu'un jour il y aura un film français ?
C.M : J’ai écrit un film français que je ne vais pas tourner mais dont j’ai écrit le scénario, qui devrait se faire l’année prochaine.
Vous travaillez régulièrement avec trois ou quatre réalisateurs, Pan Nalin, Henri Helman et Eran Riklis c'est un critère pour accepter un film que d’en connaître le réalisateur ?
C.M : Pas nécessairement, ça se fait plutôt au gré des rencontres, je fonctionne plutôt comme ça généralement. Les rencontres se font naturellement au gré des désirs et du moment.
Vous fêtez vos 35 ans de carrière, si vous deviez ne retenir qu’une seule musique, ce serait laquelle ?
C.M : Ce serait Samsara, c’est le voyage le plus extraordinaire que j’ai fait. Je me souviendrai toujours de ce montage de quatre heures que j’ai vu du film, nous sommes partis avec le monteur en Allemagne, voir le film et le réalisateur ne m’avait toujours pas dit si je composais pour le film ou pas. A la fin, il m’a donné 7 VHS, je me suis dit qu’il fallait peut-être faire quelque chose ! (Rires) Donc je suis rentré sur Paris, et j’ai tout de suite travaillé et très vite, j’ai eu beaucoup de matériel à proposer au réalisateur. La collaboration avec Pan Nalin a été extraordinaire et l’évolution dans le temps, de nos vies à chacun étaient quelque chose d’assez fort. J’ai aussi beaucoup de complicité avec Eran Riklis, on a fait quatre films ensemble et maintenant son fils compose également de la musique de film, et avec Henri Helman on a également une belle complicité, avec une vingtaine de films ensemble pour la télé. On se connaît depuis 25 ans, ce sont toujours de très belles expériences.
Et quels sont les prochains projets en matière de musique de film ?