Interview : Alexis Rault
Le compositeur et chanteur, Alexis Rault, qui faisait partie du jury du dernier festival Des Notes et des Toiles. a gentiment accepté de répondre à quelques questions sur ce festival - l'un des seuls à mettre en avant le compositeur - sur sa carrière et ses projets. Un grand merci à lui !
LMDF : Vous étiez membre du jury du festival des notes et des toiles, comment avez-vous trouvé la sélection de cette année?
Alexis Rault : Particulièrement intéressante, aussi bien sur les courts-métrages que les longs métrages. Vous parlez de la musique en particulier ou des films?
LMDF : Déjà des films et la musique bien sûr
A.R : Il y avait des choses très différentes dont un long métrage de Thomas Lilti qui m'a particulièrement marqué, ou ce documentaire magnifique qui s'appelle Libre (De Michel Toesca) qui a reçu des prix. Parmi les films qui m'ont marqué, il y a d'incroyables documentaires qui ont reçu des prix. Il y avait même un peu d'animation également, plein de films différents étaient en compétition, tous étaient de qualité.
LMDF : Et est-ce qu'en tant que compositeur, lorsque vous regardez un film, vous accrochez plutôt sur le film ou sur la musique d'abord, ou bien plutôt sur l'ensemble?
A.R : C'est un ensemble évidemment, c'est sûr que par déformation professionnelle j'ai tendance à écouter attentivement la musique. D'une part la musique elle-même intrinsèquement, mais ce qui m’intéresse surtout c'est de voir comment elle sert la mise en scène. Une musique de film ça se fait à deux, avec le réalisateur. On n'est pas le seul responsable d'une bonne musique ou le coupable d'une mauvaise musique. C'est d'ailleurs rare que la musique soit en total décalage avec le film, j'ai rarement vu un très bon film avec une mauvaise musique, ou l'inverse. En général c'est assez conforme. Comme c'est le metteur en scène qui est derrière tout ça, je pense que si la musique ne convenait pas à son film il ne la mettrait pas, il en changerait ou la supprimerait. La musique est assez révélatrice de la santé d'un film et de l'âme d'un film.
LMDF : Je trouve que la musique rehausse parfois le film.
A.R : Elle peut parfois le rehausser, c' est vrai. C’est même le but, on est là pour pousser les curseurs, il faut aider à affiner un propos et une mise en scène ; mais je trouve qu’elle est rarement en décalage complet avec le film.
LMDF : Le festival fait la part belle aux rencontres, aux concerts, est ce que vous pensez que ça permet une meilleure connaissance ou visibilité du métier de compositeur ?
A.R : C'est intéressant de mettre en lumière le métier de compositeur. Ce qui est intéressant aussi c'est de se faire rencontrer les metteurs en scène et les compositeurs. Les metteurs en scène ont en général un rapport particulier avec la musique, ils travaillent sur un film pendant 3, 4 ans, ils le préparent, ils le tournent puis ils le montent, et ensuite, il y a un type qui arrive et qui en 2 mois peut changer énormément de choses sur un film. C'est un peu traumatisant pour eux car c'est la partie qu'ils maitrisent le moins - ils sont pas forcément spécialistes de ça - ça peut faire peur. Donc c'est bien d'habituer les 2 professions à se rencontrer. C'est essentiel pour un compositeur de comprendre l'enjeu que ça a pour un metteur en scène. Pour eux c'est très violent d'avoir un musicien qui arrive, c'est essentiel de le comprendre, et c'est important pour un metteur en scène de comprendre toute la puissance de la musique, le rôle qu'on peut avoir. On peut faire tellement de choses avec la musique, c'est important que les 2 professions aient conscience des enjeux de chacun.
LMDF : Après 10 ans composition, vous avez noué des liens privilégiés avec certains réalisateurs? Vous avez fait, par exemple 2 musiques pour André Techiné, est ce que c'est le réalisateur qui vous appelle?
A.R : Oui, c'était le cas avec André Téchiné, j'en ai fait deux avec Jean-Paul Rouve, dont le prochain sort au moins de Novembre et je suis en train de finir le nouveau film de Zabou Breitman, avec qui j'ai travaillé l'an dernier sur sa série Paris etc. Donc oui, je crée des affinités, des fidélités, avec des réalisateurs mais aussi avec des producteurs, notamment avec Nolita Cinéma. Il y a un film qui s'appelle Ma fille avec Roschdy Zem, produit par Nolita Cinéma, avec qui j'ai fait 6,7 films en 4 ans.
LMDF : En général, à quel moment du film vous intervenez ?
A.R : Le plus souvent, c'est lorsque le montage est fait. Mais ce sont vraiment les metteurs en scène qui décident. Jean-Paul Rouve, par exemple, aime bien avoir les musiques avant le tournage. C’était le cas pour Les souvenirs, c'était également le cas pour le film Lola et ses frères. Il aime avoir les musiques pour les faire écouter sur le tournage et il aime monter sans utiliser de musique temporaire. En revanche, André Téchiné aime avoir un montage presque abouti sans musique, car il considère qu'un film doit se tenir sans musique pour que la musique lui permette ensuite d'aller plus loin dans la mise en scène. Ca évite d'utiliser la musique comme rustine ou comme béquille. Si un film se tient sans musique, c'est qu'avec la musique on peut aller encore plus loin. Donc c’est le réalisateur qui décide. C'est toujours un peu compliqué pour un compositeur de travailler sans image mais c'est intéressant. C'est intéressant quand le réalisateur, comme Jean-Paul Rouve, sait exactement où il va et le film qu'il va faire, il sait exactement quel film cela donne à la fin. Donc ce n’est pas ridicule de travailler la musique avant, car je sais que ce sera fidèle a ce qu'il m'avait dit.
LMDF : J'ai vu que sur certaines B.O. comme Les souvenirs ou l'Invitation, il y avait quelques chansons, du coup comment vous est présenté le film? On vous dit à tel endroit on veut de la musique et pas de chanson ?
A .R : Je ne fais pas les chansons dans ces cas-là. Ce sont des musiques préexistantes, des synchros, ce n’est pas moi qui les fait. En général c'est quelque chose qui se décide avec le monteur et le réalisateur.
LMDF : Vous travaillez aussi beaucoup pour la télévision, est ce vous abordez de la même façon le travail pour la télévision et le cinéma?
A.R : Oui, de la même façon, car lorsque j'ai travaillé pour la télévision, c'était avec des réalisateurs de cinéma, en particulier avec Zabou Breitman, on a une approche vraiment très cinématographique de la chose. Il y de moins en moins de différence, et donc d'approche entre le cinéma et la télévision. En tout cas dans l'expérience que j'ai, d'autres compositeurs auront peut-être une vision différente.
LMDF : Parallèlement a votre carrière de compositeur vous être également chanteur, avez-vous un nouveau projet d'album perso ?
A .R : Oui, j'y reviens peu a peu, j'ai de nouveau envie de faire de la musique pour la musique en elle-même. Le rapport de la musique a l'image est formidable, mais c'est plutôt un travail solitaire, et là, j'ai envie de travailler aussi avec d'autres musiciens, afin de profiter aussi de leurs talents.
LMDF : Vous avez des projets à venir ?
A.R : Le film de Jean-Paul Rouve sort en novembre, et le film d’animation de Zabou Breitman qui s'appelle Les hirondelles de Kaboul qu'elle coréalise avec Eléa Gobbe-Mevellec, sortira a priori au second semestre 2019.