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Publié par Patrick

Il y a quelques semaines, j'ai eu la chance de m'entretenir avec Alexis Maingaud, le compositeur de Sonata. L'occasion de poser son regard de jeune compositeur sur la musique de film et sur ce qui l'a amené à écrire pour la musique à l'image. Un grand merci à lui pour sa gentillesse et sa disponibilité.

La musique de film : Qu'est-ce qui vous a amené à la musique de film ?

Alexis Maingaud : La musique de film m’a toujours passionné. Dragon Heart (musique de Randy Edelman) fût, à l’âge de 8 ans, l’une des mes premières expériences de cinéphile. Ce fût ensuite Le Roi Lion (Hans Zimmer), qui continua de me donner mes premiers émois au cinéma. Du haut de mes 8 ans, je me demandais ce qui pouvait bien me mettre dans un état pareil. J'ai vite compris que la musique y jouait un grand rôle. À partir de là, j'ai développé une passion pour le cinéma, qui allait me suivre en parallèle celle pour la musique, que je pratiquais déjà au conservatoire. 

J'ai commencé l’apprentissage de la musique à 6 ans, tout d'abord par le Violon puis en autodidacte au Piano. J’ai même été violoniste dans l'orchestre du conservatoire. Cette petite expérience m’est aujourd’hui précieuse. Au cours des années suivantes, j'ai continué mon apprentissage, mais l’adolescence m’a quelque peu éloigné de l’académisme du conservatoire. J’ai eu besoin de nouvelles expériences : Rock, Jazz, Funk… Après quelques années, je suis finalement revenu au conservatoire pour y suivre un cursus d’écriture, d’orchestration, de direction d’orchestre et bien sûr, de composition. Pour moi, l’apprentissage “classique“ du conservatoire est l’un des plus important. Il permet d’avoir les bases pour ensuite développer son propre langage, quelque soit son style. C’est un peu comme le sport, plus précisément, comme le vélo. Quand on est bien entraîné à vélo, on est endurant dans tous les sports. Ça ne veut pas dire qu'on sera bon au foot, mais on pourra courir aussi longtemps et peut être aussi vite qu'un footballeur. Le rapport conservatoire / musique a des similitudes avec le vélo… Quand vous en sortez, vous disposez d’un champ des possibles qui est immense. Vous savez comment est construite une harmonie, une orchestration, vous savez mener une idée musicale de A à B et de B vers C. Ce passage au conservatoire m'a aidé à poser les bases de cette passion que j’avais en moi, à mettre enfin un cadre autour de tout ça. Composer de la musique, c'est l’histoire d’un océan infini qui s'ouvre à vous, il y a tellement de choses à créer, tellement à découvrir. La composition, c'est la façon de réaliser une idée. La concrétisation de cette idée vient d’une agrégation comprenant vos racines, votre formation, votre talent, vos rencontres et expériences ainsi que la somme de travail que vous aurez à déployer pour en venir à bout. 

Malgré le conservatoire, il faut savoir rester curieux, aller plus loin que le simple enseignement que vous recevez. J’ai donc fais ce que j’ai pu avec le temps et les moyens dont je disposais pour emmagasiner le plus de connaissances possible. Beaucoup de lectures biographiques, d’analyse de partitions achetés la plupart du temps d’occasion, des milliers d’heures d’écoute… Et des réflexions personnelles sur tout un tas de sujets. L’un de ceux qui m’a le plus travaillé est le rapport à la virtuosité. J’aime citer en exemple deux compositeurs que j’admire, John Williams et John Powell. D’un côté, John Williams avec une grande expérience et un talent immense : Harry Potter, Star Wars, Mémoires d’une Geisha… qui va développer un langage thématique et harmonique très riche et très équilibré, toujours bien pensé, toujours bien amené. Mettant la virtuosité au service de la musique, et du film. De l’autre, John Powell, d’une autre génération, admiratif des classiques, qui met en musique Solo: A Star Wars Story. Soyons clair, j’adore la bande originale de Solo… Mais on ne peut la comparer aux partitions de Williams. On en sent les “coutures” ainsi qu’une certaine volonté de virtuosité qui semble parfois n’être ici que pour elle même. Alors, oui, le métrage le permet, c’est tout de même un film de l’univers Star Wars. Mais le génie de John Williams réside dans sa propension à ne laisser que l’objet musical au service du film. Le travail de ces deux compositeurs est un exemple de comment mener une idée musicale. Ces deux compositeurs n'ont pas la même évolution, n’en sont pas au même stade de leur carrière. L’un manie la virtuosité sans arrière pensée, l’autre tend à la rechercher.

Pour aller plus loin sur ce sujet, nous pouvons parler de Jerry Goldsmith, qui semble être le virtuose de la simplicité. C’est pour moi l’un des plus grands compositeurs de cinéma que nous ayons eu. En plus d’admirer le compositeur, l’homme me fascine. Il avait ce côté humble, musicalement proche des gens. Lui, Alan Silvestri ou encore Michael Kamen, ont mené une révolution dans le score d’action des années 90. Dans Le 13ème guerrier, - composé et enregistré en moins de 20 jours, parallèlement au Score de La Momie - vous retrouvez au travers d'un thème principal qui parait simplissime, toute l’efficacité, la richesse et l’humilité de ce gars qui savait toucher les gens sans fioritures. D’un autre côté, on ne peut qu’être admiratif du métier et de l’expérience déployée pour effectuer ce tour de force en 20 petits jours.

Finalement, la simplicité est parfois bien plus difficile à atteindre que la virtuosité. C’est ce que je recherche, ce juste motif, marquant le plus possible l’imaginaire. On peut avoir de la richesse dans le langage, sans avoir des kilomètres de notes, des kilomètres d’accords complexes. Tendez l’oreille et relevez le nombre d’accords à 3 sons que comportent certains thèmes mémorables de James Newton Howard… vous serez surpris. D’un autre côté, la virtuosité est parfois nécessaire pour marquer l’imaginaire du spectateur. Citons Matrix, film Cyberpunk fondateur. Qui attendrait les textures sonores contemporaines d’un orchestre, dans les normes et de taille comparable aux orchestres des années 1920 ? Pourtant, vous retenez les couleurs, les motifs rythmiques et mélodiques, vous associez ces textures a la présence des Agents, à la Matrice, au code vert défilant à toute vitesse. La virtuosité du compositeur, Don Davis, a été totalement mise au service du film et au service d’une esthétique cohérente. Malheureusement, dans l’état actuel du cinéma, une musique pareille n’est, selon moi, plus réellement envisageable.

Mais je digresse… À l’approche de la vingtaine, je commence peu à peu à mettre en pratique ce que j’ai pu apprendre, après avoir notamment pratiqué l'orchestration avec Guillaume Connesson, personnage français de la scène contemporaine. J’écris mes premières partitions de musique de film l’année de mes 18 ans, lors de mon entrée en école de cinéma comme apprentis ingénieur du son. Ma toute première partition a été écrite plus particulièrement pour une fiction radio, l’Odyssée d’Ulysse (2006), que nous avions réalisé avec un groupe d’élèves. Ce n’était pas de la musique à l’image à proprement parlé, mais pourtant, on y retrouvait certains codes. J’ai ensuite mis en musique un premier court métrage sous forme de diaporama animé, encore une fois réalisé par un groupe d’élève dont je faisais partie. Ensuite, bon nombre de courts-métrages de camarades réalisateurs se sont présentés. Il m’est arrivé de composer jusqu’à deux scores par mois. Je dormais peu, mais j’en étais très heureux!

La Dernière Frontière (2007) d'Alexis Godefroy, a été ma première collaboration avec un réalisateur. J’y ai découvert le travail au scénario, le spotting, les accords, les désaccords… et surtout, l’amitié en art. J’ai compris que c’était la clé de la relation compositeur / réalisateur. Non pas par opportunisme, mais tout simplement car l’amitié, c’est la confiance et la connaissance de l’autre, la complémentarité. On sent ce que l’autre a en tête et on met toute sa force pour l’aider à magnifier sa vision.

Après une Licence de Musicologie à la Sorbonne, je me consacrais à l’enseignement et, enfin, à la musique de film.

LMDF : Que préférez vous, un réalisateur qui est fixé sur un genre de musique ou un réalisateur qui vous laisse carte blanche ?

A.M : À vrai dire, je n'aime pas qu'on me dise “fais ce que tu veux” ou “tu as carte blanche”. Le cinéma est un sport collectif. Si vous choisissez cet art, c’est que vous recherchez l’interaction, l’échange et finalement, la contrainte. J’ai besoin de travailler avec les gens. J'ai déjà eu a écrire de la musique de concert, c’est un travail totalement différent et qui doit correspondre à une personnalité. Bon nombre de compositeurs ne sont pas à l’aise avec la musique de film et son processus de création. Je le comprends totalement. Nous avons beaucoup de “périmètres” à respecter. La vision artistique d’autres intervenants, comme le réalisateur et le producteur. La nécessité de d’abord convaincre le public plutôt que ses pairs. Les contraintes de budget mais aussi de temps. La composition de musique de film, c’est l’art du compromis qui feint la compromission… Et c’est malheureusement la mauvaise gestion ou l’abus de ces paramètres qui peut entraîner une certaine homogénéisation artistique. C’est pourquoi j’essaie sans arrêt de repousser mes limites, de ne pas me répéter et surtout, faire la musique que j’aime.

Cette idée du compromis entraîne pas mal d’autres aléas. On doit composer plus vite, plus efficacement. Les goûts musicaux se resserrent autour de quelques styles dits et redits. On perd peu à peu le côté artisanal qui fait toute l’âme de cet art. Tout le monde utilise les mêmes logiciels, banques de sons, technologies. La technologie… C’est un sujet immense en musique de film, trop peu souvent abordé. Elle est l’origine de deux conséquences diamétralement opposées dans les intérêts de la création pure. D’un côté l’accessibilité technique au plus grand nombre à des prix beaucoup plus abordables que précédemment. Tout le monde peut créer chez soi de la musique, pour quelques centaines d’euros d’investissement. D’un autre côté, la technologie a canalisé, normé, limité le processus créatif. Certains diront qu’un séquenceur numérique permet de manipuler le son comme jamais auparavant. Je répondrais que le séquenceur numérique a surtout fait triompher le travail du son au profit de celui de la note. On ne se consacre plus qu’à avoir un son le plus personnel possible, chercher la dernière texture qui fera date. Un séquenceur ou un éditeur de partition retarde grandement le geste créatif. Il faut parfois plusieurs manipulations pour pouvoir enregistrer un motif mélodique, quand le papier et le crayon permet la sûre immédiateté. Cela traduit selon moi l’échec du “savoir” musical. Derrière les textures inédites, on trouve toujours les mêmes tonalités, les mêmes tempi, les mêmes tournes mélodiques. Aujourd’hui, on préfère suivre un tuto YouTube sur Cubase et Live, plutôt que d’étudier l’orchestration de Stravinsky et le monde harmonique de Bach ou Mozart.

En ce sens, j’aime la démarche de Michael Giacchino qui a créé un Label Qualité sur l’artisanat de ses bandes originales qui garanti “100% no sample”. On retrouve là quelque chose qui travaille beaucoup bon nombre de compositeurs. On souhaite l’artisanat alors que nous travaillons pour une industrie gigantesque qui nous demande d’écrire 2 heures de musique en 2 mois. C'est un dilemme. J’admire bon nombre de compositeurs qui arrivent à jongler avec ces nombreux paramètres en ne sacrifiant pas le geste musical. Alexandre Desplat, Alberto Iglésias, Dario Marianelli, Abel Korzeniowski… grands tenanciers du style européen. C’est dans cette veine que j’ai voulu travailler pour The Sonata. Avec Andrew Desmond, le réalisateur du film, nous avons voulu vraiment manipuler des sonorités pure et nous concentrer sur la note, pour une bande originale que nous avons voulu à l’image des inspirations du film : proche des classiques du genre. La collaboration a été exemplaire. Andrew savait vraiment ce qu’il voulait et nous nous sommes vraiment “trouvés” sur bon nombre d’aspects esthétiques. Toutefois, nous avons été obligé de faire certains choix par manque de budget, par exemple, certains instruments n’ont pas pu être enregistrés. La musique de The Sonata n’est donc pas “100% no sample”. Mais j’espère avoir les coudées franches pour nos prochains projets en commun. Malgré tout, The Sonata est un film indépendant qui a déjà mis beaucoup de son budget dans la musique. C’est vraiment à mettre en avant. Les producteurs, à l’image de Laurent Fumeron, a qui je rends hommage, se sont battus pour enregistrer avec orchestre, qui plus est en France. Nous avons eu la chance de pouvoir enregistrer avec l’Orchestre National d’Île-de-France dans leur tout nouveau studio à Alfortville.
Pour en revenir à votre question, il arrive parfois que, lorsque l’on vous donne carte blanche, c’est en réalité que le réalisateur n’a pas vraiment d’idées précises concernant la musique de son film. Le réalisateur a un choix fondamental lorsqu’il pense son film : musique ou pas musique. Chez les Frères Cohen, par exemple, il arrive régulièrement que la musique soit très ponctuelle voir absente. Ne pas mettre de musique prive le réalisateur d’un ressort narratif fort. Le film doit pouvoir s’en passer. Ce n’est vraiment pas simple, croyez moi. Il arrive qu’un réalisateur ne prévoyant pas de musique sur une scène, demande finalement au compositeur d’intervenir. Les acteurs n’étaient pas en forme ; la lumière naturelle n’était pas au rendez-vous ; il y a des problèmes de son ; l’intensité de la scène n’est pas celle escomptée… La musique endosse parfois le rôle d’aide de camp.
Sur The Sonata, Andrew avait pensé la musique de chaque scène. Comme une évidence, aucune n’a été remise en question. Cela a permis de construire quelque chose ensemble qui colle a sa vision et aux images finales.

Lmdf : Comment s’est passée la composition de Headway ?

A.M : La musique a été écrite en deux jours, enregistrée en une matinée. Tout s’est passé très vite. C’était à l’origine un projet de publicité pour la marque Adidas, qui a finalement refusé le projet. Les deux réalisateurs, Yohann Grignou et Nicolas Romieu, ont réalisé le film en quelques jours, tourné dans une forêt des Yvelines. C'est un travail très poétique sur les échecs et la façon d’y faire face pour avancer. J’ai eu la chance de collaborer avec un ami d’enfance (son père, José, était mon professeur de violon) et brillant violoniste, Nicolas Alvarez.

Le film a été tourné avec un violoniste à l’image. Ses mouvements avec l’instrument viennent d’une autre composition musicale. Mon travail a été   de donner à ma composition une cohérence avec les mouvements d’archet, tout en respectant l’intensité et l’évolution du métrage. C’est le cadre dont nous parlions tout à l'heure. Il y avait la contrainte du tournage et la contrainte de temps.

Le film a fait des dizaines de millions de vues et la musique a été très remarquée. Un grand nombre de personne m’a contacté en me disant que le film et la musique les avaient particulièrement touché et inspiré. Je me suis dis que j’avais modestement réussi à reproduire ce qui m’avait tant donné envie de faire ce métier, du haut de mes 8 ans. Certaines personnes m’ont même demandé la partition pour violon. La musique a ensuite été diffusée dans des festivals, comme le Burning Man et utilisée dans des compétitions sportives d’envergure mondiale.

La fin du court-métrage fait référence à un éternel recommencement. Elle résonne beaucoup en moi. On a tous les mêmes doutes et les mêmes phases dans la vie, quelle que soit nos origines, nos moyens, nos capacités. L’important est de s’accrocher, de continuer à avancer, quoi qu’il arrive.
 

LMDF : J’ai écouté Psi, cela vous a demandé 1 an de travail, comment s’est passée l’écriture ?

A.M : Psi est un docu-fiction qui a pour thème central la notion de choix. Dans ce film, on suit 5 personnes qui sont en fait la même personne, ayant fait des  choix différents, se retrouvant dans des lieux géographiques différents avec des vies différentes, suite à différentes expériences de vie. Il y a dans ce film un véritable travail philosophique et scientifique sur la notion du libre arbitre. On y évoque entre autre la physique quantique et les univers parallèles, mais aussi les moeurs et la politique, qui nous influence constamment. Ce fut un terrain de jeu musical extraordinaire. Je n'avais pas encore expérimenté une telle collaboration avec un réalisateur (Olivier Wright). Il y a beaucoup de musique dans le film. On pourrait dire que c'est une sorte de film musical. Malgré tout, une voix-off est constamment présente. Ce fut très compliqué d’arriver à faire cohabiter la musique et la narration, sans pour autant détourner le spectateur de la voix et du récit. Il y avait un véritable équilibre à trouver. 

Avec Olivier, nous travaillions par séquence. La première chose qu’il m’a envoyé, c’est un plan… Le film est d’une telle complexité, que nous devions être minutieux dans notre organisation et la structuration du récit, qui se ferait en grande partie grâce à la voix et la musique. Je me suis attelé à écrire des thèmes non pas pour des personnages, des lieux ou des situations, mais pour des notions philosophiques ou scientifiques. Par exemple, “La Chance” dispose de son thème au Piano (plutôt plusieurs thèmes, mais toujours caractéristiquement soumis à l’aléatoire) ou encore “La Destinée”.  Certains thèmes étaient même abordés en même temps dans une séquence et se devaient de pouvoir être superposés. Chaque séquence était en cours de montage lorsque je les recevais. La précision structurelle était telle, qu’Olivier m’envoyait les séquences avec ses indications et commentaires directement incrustés aux images, en rebondissant avec le récit des personnages. Je composais ensuite la musique et Olivier finalisait le montage une fois le morceau validé, pour que l’alchimie images/récit/musique soit totale. Certains morceaux ont nécessité des dizaines de versions. C'est le projet le plus compliqué auquel j’ai eu la chance de participer. C’est aussi l’un de ceux qui me rend le plus fier et sur lequel j’ai le moins de regrets. Peut être celui qui me reflète le plus musicalement. Aussi bien dans ses influences à la croisée de l’impressionnisme français et de la musique contemporaine, qu’aux pages les plus amples du cinéma américain.

Le film dispose d’une évolution très intéressante, qu’il a fallu suivre musicalement. Le commencement présente le contexte et pose les problématiques. Plus on évolue, plus on prend conscience de la solution inexorable qui attend notre personnage principal. Puis, au milieu du film, table rase. On nous demande de reprogrammer un nouveau logiciel. La fin arrivant, on découvre ce qui attend enfin ce personnage qui a toujours refusé de faire des choix. On retrouve cette évolution dans l’album, qui va de la consonance vers la dissonance puis de la dissonance vers la consonance retrouvée, mais évoluée. Autant les premières parties nous amènent du côté de la musique impressionniste européenne et slave, jouant sur les couleurs instrumentales et des harmonies claires, autant le centre du métrage nous plonge dans des mélanges dissonants qui rappellent les sonorités contemporaines d’un Ligeti ou d’un Penderecki, avec une alternance d’instruments solistes, d’orchestre et de textures de synthèses. 

Malgré la difficulté, j’ai adoré l’expérience Psi.  J’ai cependant le regret que la bande originale du film n’ait pas vraiment été assez écouté. On touche là à l’exposition que connaissent les compositeurs, aujourd’hui. Il est parfois difficile de faire prendre le temps aux gens de s’assoir au calme et d’écouter votre travail, en leur demandant une certaine concentration. On effleure très souvent les choses. Qui prendrait le temps d’écouter un jeune compositeur inconnu en essayant d’analyser les motifs mélodiques, le pourquoi du comment, les liens d’un morceau à l’autre, après avoir vu le film et compris l’ensemble des tenants et aboutissants?

J’ai également particulièrement apprécié la rencontre humaine avec le réalisateur. Au delà de l’amitié sincère qui en résulte, je pense que nous avons encore de belles choses à créer ensemble. C’était sincèrement une magnifique collaboration, qui s’est étalé dans le temps en grande partie car j’assumais la fonction de professeur en conservatoire et ne pouvait m’y consacrer à plein temps. On s’est parfois demandé si le résultat aurait été le même si nous avions dû faire ce film d’une manière conventionnelle, en quelques semaines / mois. Dans tous les cas, nous avons eu ce luxe de pouvoir prendre notre temps et nous sommes allés au fond des choses.

LMDF : À partir de quel moment êtes-vous arrivé sur le projet de The Sonata ?

A.M : J’ai rencontré Andrew (Desmond) à l’ESRA, une école de cinéma parisienne dans laquelle nous étions élèves. Lui en réalisation cinéma, moi qui passait mon diplôme d’ingénieur du son. C’est d’ailleurs dans cette école que j’ai fais la connaissance des premiers réalisateurs avec qui j’aurais la chance de collaborer. Andrew et moi sommes devenu amis, et avons collaboré une première fois sur un court métrage qu’il mettait en scène.

Quelques années plus tard, Andrew réalisait Entity, court métrage de science-fiction. Pour différentes raisons, nous n’avons pas pu nous retrouver sur ce film, mais nous savions que ce n’était que partie remise !

Andrew m’avait déjà parlé de ce projet qu’il avait d’abord écrit sous la forme d’un court métrage. Sur les encouragements de certains de ses proches, il l’a finalement développé en long métrage. En Août 2017, Andrew m’a proposé de lui écrire plusieurs morceaux qui pourraient coller à l’atmosphère du film. Quelques semaines plus tard et une fois les orientations trouvées, les choses se sont accélérées, car le financement du film fut validé et son tournage déjà en préparation pour le mois d’Octobre 2017. J’ai eu à peine quelques semaines ensuite pour écrire et enregistrer la fameuse sonate, qui allait être diffusé sur le tournage, synchronisé à la scène finale en question. Je devais livrer le morceau toute fin Août pour que Freya Tingley, l’actrice interprétant Rose, puisse travailler le morceau avec son “coach” de Violon. Nous nous sommes d’ailleurs brièvement rencontré lors de son passage à Paris. Nous avons discuté du morceau et je lui ai montré sur un violon les intentions à mettre selon les passages.

Une fois le tournage passé et le montage terminé, j’ai pu continuer mon travail sur le film. C’était en Février-Mars 2018. Nous avons avancé petit à petit sur le film. Étant toujours professeur de conservatoire à cette époque, j’ai dû travailler sur le film jusqu’à juin. Nous avons enregistré fin juin à Alfortville avec l’Orchestre National d’Île-de-France, dans leur studio fraîchement rénové. Imaginez-vous professeur, en fin d’année scolaire, les nombreux examens à faire passer, les jurys dont vous faites partie… Imaginez que ce professeur doit en plus finaliser et enregistrer la musique d’un long métrage. Ce fût une période plutôt intense !
 

LMDF : Vous avez été l’un des premiers à enregistrer avec l’Orchestre National d’île-de-France dans les nouveaux studios d’Alfortville ?

A.M : The Sonata est le premier long métrage à avoir été enregistré par l’Orchestre National d’Île-de-France (ONDIF), qui plus est dans leurs tout nouveaux studios, récemment rénovés. C’est bien simple, certains matériels d’enregistrement semblaient tout juste sortis de leurs emballages!

Il me semble que l’orchestre avait dans le passé travaillé sur la musique de  Philharmonia, une série télévisée. Il n’y avait à cette époque et à ma connaissance, aucun autre crédit de l’orchestre en musique à l’image.

J'ai eu l’immense privilège de pouvoir diriger l’orchestre, dans un studio flambant neuf et à l’acoustique totalement repensée. Ce fût une très bonne expérience, difficile, mais enrichissante. Il n’est guère aisé d’amener 80 âmes à vous suivre dans une idée, à aller tous dans la même direction. L’ONDIF est un orchestre symphonique habitué à travailler selon les normes du concert. Mettre un casque dans lequel est diffusé un clic métronomique, n’est pas quelque chose d’habituel pour la plupart des musiciens de l’orchestre. Cela peut créer une certaine gêne. Il a fallu arriver ensemble vers la finalité de ce projet. Et nous y sommes arrivé, après 3 jours et demi  d’enregistrement.

The Sonata et Psi sont deux B.O. auxquelles je tiens beaucoup. J’y ai beaucoup investi de ma personne. Parfois, on doit remodeler ou essayer de faire accepter son idée aux autres, mais nous avons toujours un cap personnel. J’estime être très exigeant dans la musique que je produis. Je ne peux pas sortir quelque chose qui soit en dessous de mes exigences. Hans Zimmer parle, dans différentes interviews, des regrets du compositeurs de musique de film, de ne pas pouvoir revenir sur ces petites imperfections que vous êtes le seul à entendre. On en revient aux contraintes… J’ai vraiment du mal avec ça. Il faut que je maintienne ces exigences. Il faut que ce soit le plus proche de ce que j'ai en tête pour obtenir à la ligne d'arrivée une bande originale qui soit la plus aboutie possible musicalement. C’est ce qui fait, pour moi, tout le sel et l’artisanat de notre art.

LMDF : Il y a vraiment une osmose entre le film et la musique. Pour The Sonata, il y a une superbe ambiance, c'est un équilibre parfait.

A.M. : On touche ici à l’impalpable, si je puis dire… C’est vraiment l'alchimie entre les différents corps de métier d’un film, dont le compositeur et le réalisateur, qui permet d’avoir cette cohérence qui rend les coulisses invisibles pour le spectateur. L’équilibre vient essentiellement, pour moi, de la clarté de la relation compositeur/réalisateur.

LMDF : Un petit clin d'œil apparaît avec votre nom dans l'une des scènes du film. C'était très sympa.

A.M : Andrew aime insérer des “caméo” dans ses films. On a également certains producteurs qui apparaissent d’une manière ou d’une autre dans le film. En réalité, la composition diffusée sur cette chaine Hi-Fi est une co-composition avec Samuel Maingaud, mon frère qui joue du Saxophone, et Bibi Louison, ami et grand pianiste de Jazz français. Le nom de la composition, Song’s for Bibi, lui est d’ailleurs dédié.

J'ai donné à Bibi 2 ou 3 références, il a ensuite improvisé. Je l’ai enregistré discrètement puis choisi et monté certains passages. J’ai ensuite envoyé ce petit montage à mon frère, qui a également improvisé ce qui semble être un thème prometteur… Bravo à lui ! C'est un travail à trois où s’est mêlé  improvisation et montage. J’ai en quelque sorte eu d’avantage un rôle de producteur que de compositeur. En définitif, cela rejoint ce que j’apprécie tout particulièrement dans la création musicale : l'inattendu, le “premier jet”.

Malheureusement, ce morceau n’a ni introduction, ni conclusion… et n’apparaît donc pas sur l’album du film. Un peu comme un autre morceau qui fut très plaisant à composer, un extrait de La double de vie de Perséphone, poème symphonique massif censé avoir été écrit par Richard Marlowe (Rutger Hauer). Ce fût, comme pour la fameuse Sonate, un travail très étrange de devoir se mettre dans la peau d’un compositeur fictif et lui créer son propre univers. Quand vous savez que ce compositeur n’est autre que le légendaire Rutger Hauer, vous faites cela avec conscience, minutie et humilité.

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